En pleine basquitude
Rue à St Jean pied de port
Saint Jean Pied de Port, en plein pays basque. Pour la première fois de ma vie, j’entends parler basque autour de moi, je vois des affiches entièrement écrite en basque.
J’y suis arrivé au terme d’une étape plus que laborieuse qui m’a conduit de chez Ghislaine et Gwenaël, à Lescun, dans le Val d’Aspe, Hautes Pyrénées, jusqu’ici. Etape rude physiquement et psychologiquement puisque j’ai roulé toute la journée sous la pluie et dans le brouillard en altitude, livré au froid, à l’humidité et au manque de visibilité dans le brouillard. Quand c’est comme ça, ce qui a fort peu été le cas depuis le début du voyage, je roule toute la journée avec une idée fixe en tête : arriver dès que possible à l’étape pour me sécher et me réchauffer. A l’arrivée, j’ai trouvé un très chouette gîte d’étape, très confortable et aménagé avec goût et tenu par des gens très sympa. J’ai un copain, Jon, qui habite à côté de St Jean et lorsque je l’ai appelé il m’a dit qu’il n’arriverait que le lendemain soir. Ma décision a été vite prise : je passerai un jour de repos ici, d’autant que la vieille ville dans laquelle je suis logé, est très typique et jolie. Je fais connaissance avec une bande de joyeux et très sympas : Sonia, Jacques et Valérie, originaires de la région parisienne, qui viennent de randonner pendant une dizaine de jours et terminent ici leur périple. Nous partagerons nos réflexions, nos rigolades et nos repas. Nous avons même confectionné ensemble un délicieux ragout de porc aux poivrons, courgettes et piment d’Espelette, des piments locaux. De très bons moments.
Bernard et Fafa, mes hôtes du gîtes viennent d’ouvrir le lieu. Une vieille maison avec des chambres communes à tout les étages. Aménagée avec beaucoup de goût et très bien tenu, pour un prix plus que correct. Bernard fait chaleureusement la conversation. Il est intarissable et en plus intéressant, ce qui est appréciable car cela ne va pas toujours de pair. Resté seul à écrire au gîte dans la matinée, il me fait découvrir de la musique basque et je lui explique que mon projet de voyage est plutôt à perspective de rencontres et humaniste que de suivre un chemin religieux, que je trouve parfois assez « bradé ». Il me reçoit apparemment 100% et je sens que nous allons nous entendre. Il m’envoie chez le libraire en face qui est un penseur de la culture basque.
Le dit libraire, bien nommé Uranga Paxticu, c’est son nom, sera mon tout premier initiateur à la culture basque. Que le lecteur se rende bien compte : Je n’ai donc pas la prétention d’en connaître ne fut-ce qu’un petit bout. Ce que je retranscris ici sont un condensé surtout de ce que j’ai entendu, et de mes impressions. Ces précautions étant prises il me faut commencer par dire que j’ai été grandement étonné de ce premier contact. Identité tout d’abord. L’identité basque, selon mon libraire, résiderait avant tout dans la langue. Dans le parler basque, le mot « basque » se dit : « Euskalduna » qui se traduit littéralement par celui qui parle basque car c’est la contraction de « Euskara » qui désigne la langue basque et « duna », « celui qui sait ». L’identité serait donc liée au parler. Aujourd’hui, le basque est redevenu la langue maternelle des enfants du coin. C’est dans cette langue qu’ils disent leurs premiers mots. 80% des enfants sont basquophones et plus de 70% sont scolarisés dans la langue. Les écoles primaires basques sont à moitié des écoles privées et à moitié publiques, dans le sens où les salaires des enseignants sont payés par l’état mais pas les infrastructures. Celles-ci sont financées par des fonds privés et la région basque espagnole donne, paraît-il, des fonds pour ces écoles. Les bacs sont passés en basque. Il existe en France une université qui diplôme les gens en économie, science po, droit… par ex, en basque. Il y a donc une solide implantation de la langue. Le libraire me montrera d’ailleurs des livres pour les tout petits publiés en basque. Selon lui, le parler, dans la langue basque est plus signifiant que l’implantation territoriale ou l’appartenance familiale. Parler basque ouvre ici beaucoup de portes. Loin de rester dans le passéisme et le traditionalisme, la culture basque se renouvelle sans cesse, ce qui fait sa richesse. Le traditionalisme pour lui, et je suis de son avis, c’est la perte et la mort culturelle. Il faut du renouveau, de l’évolution. Il pense qu’aujourd’hui, les basques ont dépassé le complexe d’infériorité et de subordination par rapport aux cultures nationales dominantes françaises ou espagnoles. Cela leur donne à la fois une grande liberté de créativité constructive dans leur univers culturel, économique et social, en même temps que cela diminue le militantisme autonomiste agressif et violent. Nous échangeons à propos de la situation en Belgique. Il a rencontré pas mal de flamands, des gens avisés mais aussi des gens qui lui paraissent trop à l’extrême du fanatisme dans leurs revendications autonomistes et identitaires. Certains ont essayé de lui faire dire que le nationalisme basque, comme le leur s’apparente à l’extrême droite, ce contre quoi il s’insurge. Il pense qu’une grande force pour une culture est de pouvoir se mettre à l’écoute de celle d’en face. Une culture qui rêve d’en écraser une autre a forcément elle-même des problèmes. On est dans une perspective stérile de bourreau et de victime qui ne demande qu’à ce retourner (en se légitimant dans son statut de victime, tiens on est pas loin de Israël Palestine).
J’interroge également mon libraire sur la fin de la lutte armée qui semble se profiler. Il pense que le peuple basque finit par réaliser qu’on lutte avec des armes différentes au sein d’une démocratie ou au sein d’une dictature. Pour lui, c’est ce qui explique la décroissance de la lutte armée. Mon logeur me rappellera plus tard que tout n’est pas pour autant classé : fait dont on parle peu, 2500 basques sont encore emprisonnés, en France ou en Espagne, pour soutien au militantisme séparatiste.
Le discours de Bernard, au gîte, est complémentaire et apporte des nuances. Lui pense que la culture basque n’est pas si ouverte que cela. Centrée sur la famille, organisée autour de la fameuse maison basque. Il s’agit le plus souvent dans les villages d’énormes bâtisses, des fermes pour la plupart, autour desquelles les histoires de famille sont réglées. Les histoires d’héritage sont souvent implacables et règlent les places et le sort de chacun de enfants. Elles peuvent être à l’origine de départs vers d’autres régions voire phénomènes migratoires. Il y a beaucoup de basques aux States et en Amérique latine. L’émigration est, à son tour, a l’origine de flux financiers vers la région d’origine. La maison basque semble ne se diviser quasiment jamais et encore moins se vendre, surtout à des non basques. Cela donne des histoires de familles assez rudes. Il y a quelques années, le folklore basque tentait de se montrer, notamment aux touristes qui étaient bienvenus dans les fêtes villageoises. Aujourd’hui, c’est nettement moins le cas. Les affiches des fêtes sont en basque, c'est-à-dire incompréhensibles pour qui ne connait pas cette langue bizarre ; et qui la connaît à part les autochtones?
Je connais mon ami Jon parce que nous partageons le goût des musiques de Balkans et nous en jouons un peu (lui est accordéoniste). j’ai fini par le voir ce dimanche dans sa splendide maison basque où il vit avec sa famille, des gens vraiment très sympas et accueillants. Ils ont vécu aux quatre coins du monde, notamment aux Etats Unis, et sont revenu s’installer au pays. On sent leur ouverture d’esprit lorsqu’on les rencontre. Jon parle couramment le basque et s’implique pas mal dans la musique trad. basque également. Il pratique des instruments typiques comme le Txalaparta, instrument rythmique qui se joue à deux et ressemble à une très gros xylophone rudimentaire. Il me confiait que les basques sont tellement en affaire avec leurs traditions musicales qu’il est bien difficile d’en trouver qui s’intéressent à d’autres musiques, notamment, pour lui, la musique des Balkans.
Bon, une impression en mi-teinte sur la culture d’ici. Je ressens à la fois un discours qui se veut ouvert, mais aussi une possible tentation de se suffire à soi-même, dans tout ce qui concerne la construction de la vie sociale, notamment; les dérives ne sont peut-être pas loin. Mais ce n'est qu'une première impression et elle a des contrepoids bien intéressants. Je reviens avec quelques splendides cd de musique basque. Tout cela est passionnante; j’ai bien envie de creuser.
A plus
Pierre