Portugal
Je viens d’arriver là, dans un petit bourg du Portugal profond, du nom de Albergaria A-Velha d’où j’écris ces lignes. J’avais jeté mon dévolu sur cette petite ville qui semblait d’après la carte, l’endroit idéal pour une étape, entre Porto et Viseu, une région de montagnes que j’aimerais visiter. Un commerçant auprès duquel je m’enquerrais ce soir d’un hôtel pour passer la nuit m’a demandé pour commencer, si je venais de Saint Jacques et si j’avais fait le pèlerinage. Comme je lui répondais que oui, effectivement je venais de Santiago, il m’a conduit chez le curé du bled, un polonais débarqué ici dans sa land Rover noire clergimen, pour un intérim de quelques mois. Et voila que je me retrouve donc sur un matelas, dans le sous sol de la maison paroissiale (Casa paroqiale) ; il y a l’eau, les toilettes et l’éclairage. Pour la douche, j’ai du me rendre chez « los bombeiros (les pompiers)» qui ne parlent pas français mais comprenne 5/5 dès que quelqu’un se pointe chez eux avec serviette et trousse de toilette. On vit une époque formidable !
Mon chapitre portugais a donc commencé. Il y a deux jours, un train me déposait à Porto avec vélo et bagages ( mais sans arme). A mon plus grand soulagement, un soleil caressant brillait à l’arrivée. Il faisait encore nuit lorsque, trois heures plus tôt, j’avais pris à Vigo sous les dernières gouttes de pluie, un petit autorail à moteur et passé la frontière à l’aube. Le paysage détrempé offrait un spectacle désolant et qui vous rend humide en dedans : champs et chemins inondés. Arrivé à la gare Campanha, j’ai traversé Porto avec mon attelage, sous l’œil curieux et perplexe des autochtones qui avaient l’air de trouver ça des plus insolite. Cela faisait vachement de bien d’arriver dans une ville portugaise. Retrouver la lumière, les façades blanches ou colorées, décorées d’azulejos (carreaux de faience) et découpées sur le ciel bleu ; les fameux trottoirs portugais en mosaïque de tout petits pavés. J’avais conservé d’un séjour à Lisbonne il y a des années déjà, le souvenir d’une proximité de coins d’urbanisme raffinés avec une éruption de vie populaire qui m’avait enchantée. Je pense qu’il y a là quelque chose de national car Porto me replonge d’un seul coup dans le même bain. Un peu l’impression rassurante d’arriver chez soi dans une ville pourtant étrangère. Tout comme d’autres grandes villes Portugaises, Porto est bâtie au bord d’un fleuve, le Douro. Cela veut dire collines alentour. Une ville tout en montées et descentes abruptes, gradins, points de vue. Le pendant, sur la berge en face, c’est Vila nova de Gaia, où se trouvent tout les entrepôts où l’on affine le porto. J’ai fini par trouver ma petite pension en plein centre, dénichée dans le routard, Pensao duas Naçoes. Après 1h d’attente à boire un café/pain choc à la pastelleria à côté, la réceptionniste asiatique et très sympa finit par me dire, l’air ravi, qu’elle avait une chambre double pour moi (si je voulais partager avec un éventuel amateur, ce serait moitié prix ; ce qui fut le cas).
Tant mieux, j’avais un furieux besoin de me poser et n’avais guère envie d’aller plus loin. Je me rend compte aujourd’hui : je n’en menais pas large après cette semaine de mauvais temps en Galice. J’ai passé à Porto deux jours à me reprendre de cette aventure psycho-climatique, ce qui a donné à mon séjour un goût moins sucré que le porto que j’ai bu : à la fois chouette d’être là mais pas tout à fait l’esprit tranquille. Je crois que d’être ainsi la proie des intempéries m’a déstabilisé. Un peu de pluie ne me décourage pas mais huit jours de grosses pluies et de tempêtes m’ont envoyé à la figure la vulnérabilité de ma situation. C’est que je suis dehors, sur un frêle engin, même si j’ai les moyens de me payer des nuits au sec. Le dernier jour en Espagne, je descendais en peinant la longue pente qui mène à Vigo, trempé comme un canard, poussant mon vélo parce que les coups de vent m’empêchait de rouler sur la route. Trop dangereux ! Tant qu’il fait beau, on peut programmer ses étapes d’un jour à l’autre et avancer. Le froid, le grand vent, la pluie peuvent très bien vous contraindre à tout autre chose. Et là, rien à faire, il faut se plier à la loi du dehors, ne pas savoir de quoi demain sera fait, ni même après, si on pourra se débrouiller et comment ? Eh bien, au-delà d’une certaine dose, cela voudrait comme générer chez moi un petit manque de confiance, genre sentiment d’insécurité. Pas des plus agréables, de se voir ainsi confronté à ses limites. J’en aurais presque des appréhensions à reprendre la route. Mais bon, je me suis botté les fesses (exercice difficile en solitaire, mais j’y suis néanmoins arrivé !) et j’ai repris la route. Dédale pour sortir de la banlieue de Porto, puis petit à petit on trouve son chemin. Début d’après-midi, il m’ fallu attendre vingt cinq minutes à un passage à niveau, à Granja, que la madame garde- barrière ait fini de lever son drapeau rouge quand les trains passent et actionne sa manivelle, et qu’on puisse traverser : tout ça pour... aller voir la mer. Mais ce petit goûter apaisant face à l’océan, à regarder les vagues m’a redonné la pèche.
petite gare de Granja, le long de la côte
Un jour plus tard.
Je chemine au milieu d’un paysage de moyennes montagnes, en direction de Viseu, petite ville à l’intérieur des terres, à l’Est d’Aveiro. J’avais envie de cette incursion dans la nature, histoire de voir à quoi ressemble le Portugal profond. Je ne suis pas déçu. Les paysages sont beau et la nature aussi. Le soleil d’octobre chauffe doucement au travers de branches d’eucalyptus (l’eucalyptus, c’est l’épicéa portugais). Les talus sont couverts d’ipomées sauvages qui font des tapis de grandes fleurs bleues intenses. Je traverse de petits villages, toits rouges façades blanches. Dans les jardins souvent luxuriants, je vois les premiers orangers et citronniers chargés de fruits. J’atteins Viseu fin de journée, au grand soulagement de mes jambes fatiguées, m’installe dans un petit hôtel dans la vieille ville, et sors boire une bière en lisant le journal.
A plus
Pierre