Essais de vélosophie politique

Publié le par radiopipette.over-blog.com

 

Terrasse de bistrot à Lavaur 15 1 

Le voyage, et celui-ci tout particulièrement, c’est encore bien autre chose qu’une route qui défile, une rencontre à une table ou à une croisée de chemins , des monuments que l’on découvre, des villes où l’on flâne, des paysages qui impressionnent, un temps, la rétine. Pour autant que l’on puisse -  et que l’on se laisse - être un peu seul avec soi-même, ce qui est plutôt mon cas, la route invite tout autant à un voyage intérieur qui est fait de rêverie, de méditation, de réflexion. Le  traintrain de la vie, le quotidien qui s’éloignent, et le déplacement, avec son rythme soutenu et régulier, jour après jour, ouvrent cet espace en soi. Ecrivant cela il me vient en tête des images dont l’une, sonore, qui a beaucoup inspiré le cinéma : celle du paysage qui défile avec le bruit que font les roues des trains à la jonction des rails : tatam-tatam, tatam-tatam ! Et, comme écrit génialement le photographe klavdij Sluban, qui commente ses photos du transsibérien, « chacun alors se tait dans sa propre langue* ».

 

Cependant, c’était évident pour moi dans mon projet de départ, et ça l’est resté jusqu’ici : je n’ai pas voulu d’un voyage genre « débranche, tout !». J’ai souhaité toujours me sentir rattaché, en phase avec ma vie, mon travail, mon quartier, mon pays, mon monde. Je lis donc le journal, quand je le trouve ou sur internet et les nouvelles sur le mail ou le blog sont les bienvenue. Ne vous en privez surtout pas, qui que vous soyez ! Et je m’efforcerai d’y donner suite, autant que possible, pour les mails, en tout cas.

Or donc, je rêve et je réfléchis et il me brûle de vous livrer quelques réflexions qui me sont venues, plutôt dans les descentes, notez, que dans les côtes, et lorsqu’il m’arrive d’arrêter de me remémorer les textes de Brassens (qui sont ceux qui me reviennent le plus souvent) ou d’autres. Bon, je sens que je vais être grave.

 

L’homme n’est pas fait pour vivre seul et a besoin de liens avec autrui, de contacts sociaux, faute de quoi il se dessèche, affectivement parlant, comme une plante non arrosée qui manque d’eau. L’expérience de la solitude en Espagne, où les liens se créent plus difficilement, rapport à ma connaissance ténue de la langue, éprouvent et renforcent d’ailleurs ma connaissance sur le besoin de liens et de langage.

 

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 Je mets cela en rapport avec mes lectures d’actualités : J’ai lu, depuis mon départ, dans le journal ou sur internet pas mal d’articles qui, d’une manière ou d’une autre, directement ou indirectement, mettent en scène, l’évolution des démocraties en Europe de l’Ouest. Le thème semble beaucoup titiller la plume des journalistes d’investigation et des éditorialistes. Je suis totalement effaré de voir la tournure que prennent les choses. Bien sur, je le savais déjà, mais c’est peut-être le recul du voyage qui rend tout cela plus vivace à l’esprit. Comment se fait-il que la conscience politique des gens soit à ce point endormie aujourd’hui ? Quelques exemples, que vous connaissez probablement déjà : Les Pays Bas sont empêtrés dans la formation d’un gouvernement qui doit se compromettre avec l’extrême droite anti islamique. Ce sera aussi le cas dans des démocraties scandinaves. La Belgique est paralysée par une crise politique qui, loin des vrais débats de société, prend racine dans un discours politique régionaliste, simpliste (de mon avis personnel), même s’il a des racines historiques,  et qui manipule la conscience populaire, cela dit avec le plus grand respect pour l’ensemble du peuple flamand pour lequel j’ai plutôt de la sympathie. La France est en train d’envoyer à la casse des fondements de sa sécurité sociale et d’adopter une politique intérieure xénophobe, alors que son opposition de gauche se gratte le menton pour savoir s’il est politiquement correct de réagir et comment ? Pour ne pas parler de l’Italie et de ses scandales, detroupeau-de-moutons-a-Fresno-del-rio-Tiron-15-6.jpg l’Espagne… Bon, OK, on sait ça, en gros. Mais derrière, le fond du problème, c’est que tout ces gens sont des élus. A l’autre bout de la chaîne, il y a des gens, nous, nos familles, nos proches, nos collègues, nos voisins (ce n’est pas « les autres ») qui votent pour que ces élus soient assis à leurs place. Et l’électorat on l’a endormi, constate dans « Le Monde »un grand sociologue, Alain Tourraine! L’électorat de nos pâles démocraties est un gros bébé qui dort et qui dort bien, parce qu’on le gave de tout ce qu’il faut pour qu’il ne se réveille pas pendant que les grands, politiciens, hommes d’affaires ou de finance, industriels s’occupent de leurs juteuses petites affaires : on l’abreuve de messages télévisés rassurants, d’émissions politiques pré-électorales incompréhensibles et souvent nulles mais rassurantes (que certains journalistes consciencieux me pardonnent !), d’un pouvoir d’achat et de consommation rassurants , de messages sur la sécurité, les étrangers qu’on tient en respect, et autres balivernes. Surtout, on l’a convaincu, à son insu, qu’une société de consommation (on sait s’y prendre pour créer aujourd’hui des besoins inimaginables hier), une société à finalité de divertissement, une société basée sur l’égoïsme et le culte de l’individualisme, est la bonne société, qu’il n’y en a pas de mieux. A côté de cela, il n’y a plus d’opinion politique et surtout, il n’y a plus d’éducation politique, et  donc plus de réelle démocratie. Même nos hommes politiques en manquent quelquefois (souvent ?) cruellement, d’éducation politique, j’entend.  L’image du bébé qui dort force le trait, bien sur. C’est pour mieux souligner qu’il serait temps de grandir un peu, refuser de dormir, et passer à l’âge du non !

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Comment je définirais une éducation politique ? Pour commencer, il ne faut pas avoir fait « sciences po. » pour avoir une conscience politique. Cela s’apprend en famille et à l’école. On pourrait dire que l’éducation politique, c’est ce qui permet de se forger une conscience politique. Et une conscience politique, c’est ce qui relie pour chacun le sens de la vie, sa petite vie, sa vie à lui et ses proches, avec un projet de  société. Ne nous méprenons pas : la petite histoire ( la notre) et la grande (celle des journaux et des livres) sont indissolubles. Bien, il ne s’agit pas, cela dit, de savoir à la place de nos hommes politiques ce qu’ils convient qu’ils fassent ! Etre un homme politique, c’est un métier et cela s’apprend.  Avoir une conscience politique, c’est le rôle de chacun dans une démocratie. C’est savoir ce qu’on veut, ce qui compte pour vivre en société : quelles valeurs on défend, quelle éthique, quelle morale,  pour vivre ensemble. C’est soutenir un projet de société. C’est apprendre à écouter les projets des autres. Savoir comparer. Savoir quand il faut descendre dans la rue et donner son avis. Savoir dire, même à un ami, qu’on est pas d’accord. Savoir soutenir quelqu’un, une idée, même si on s’expose. Savoir résister aux trois commandements : consommer, se divertir, et se replier sur sa propre image. Il me semble aujourd’hui que tout cela était bien vivant quand on se remettait du choc, de la gueule de bois et du mal au crâne humaniste qu’avaient laissé les grandes atrocités, comme toutes les petites lâchetés, du milieu du dernier siècle. Aujourd’hui on a bien réussi à l’endormir, presque à l’oublier.

 

Nom de Dieu, que j’aimerais voir un revirement avant la fin de ma vie. J’aimerais qu’on se mette à apprendre à nos enfants, à la maison, dans les écoles (certains profs y songent, je le sais, mais aujourd’hui ce sont des gouttes d’eau dans l’océan) que les valeurs et la conscience critique sont les fondements de la vie adulte. Qu’on se remette à en discuter avec nos voisins, nos collègues (ça demande un peu de courage), qu’on permettre à nos ados, (qui ne demandent que ça, mais pour ça faut leur causer, s’affronter ferme avec eux, autant que les aimer) de rêver à leur société de demain. La justice sociale, la conscience des autres, la précarité du voisin, le développement économique, l’accès à la culture (et quelle culture ?), les droits de l’homme, la faim dans le monde, le projet du quartier, les expulsions de sans papier, c’est leur affaire comme la notre, notre affaire à tous.

 

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Que nos bulletins de vote en (re)viennent à sanctionner ou plébisciter de vrais projets de société et non l’image politique de gestionnaires en beau costar (mais pas innocents). Je le dis comme je le pense (ça n’engage que moi) : que nos votes politiques conscients fassent disparaître les inquiétants cacas bruns, genre Sarko. Berlusco.  et leurs cliques,  au bas fond des urnes et qu’on tire la chasse ! Je sais qu’il y a des hommes politiques conscients et intègres. Ils ne se reconnaîtront pas dans mes propos, tant mieux pour eux. 

 

Déso si je vous ai dérangé ou saoulé (ça, j’espère vraiment que non, mais sait-on jamais ?) avec mes considérations, mais fallait que je les sorte. Pour ma part, je serais prêt encore à donner l’équivalent en énergie d’un nombre illimité de kilomètres à vélo et de cols à franchir pour faire avancer ce débat, voire tout simplement, pour qu’il ait lieu.

 

A plus

 

Pierre

 

*Le monde diplomatique, septembre 2010

 

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A
<br /> Bonjour Pierre<br /> lors de mon voyage en Hongrie,j'ai eu ce même ressenti de voir l'Europe à droite toute : nous avons visité une ville en pleine campagne électorale. La maire sortante en appelait au Jasz, la tribu<br /> ancestrale autochtone, et le candidat opposé est carrément un hussard. Sous ce gentil folklore perce le repli identitaire et le désir de guerre pour la "grande Hongrie". Quant aux Tziganes,<br /> c'est-à-dire les Roms de Sarko, ils sont considérés à part dans les statistiques officielles : il y a les Roms et les non-Roms. Ils tracassent beaucoup parce ce qu'ils sont en passe de devenir plus<br /> nombreux que les Hongrois. On a aussi visité le château de Sissi l'impératrice là où va se dérouler la présidence tournante de la Hongrie. Quelle faste pour les représentants élus de nos<br /> démocraties. Grève du droit de vote et grève de l'impôt !<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Décidément Pierre, on se délecte de ta poésie , de tes réflexions humanistes ou philosophiques et encore plus de ton humour mais c'est très bien aussi quand tu te fâches.<br /> <br /> Merci de crier ainsi ces vérités et de faire une synthèse si claire de ces questionnements que nous laissons effectivement trop souvent dormir au fond de nous.<br /> <br /> Et un bon pavé dans la mare des crapauds qui nous grignotent la planète!<br /> <br /> Petit clin d'oeil humoristique tout de même (tu ne saurais pas t'en priver), la très jolie photo de moutons au beau milieu de ton "coup de gueule" est elle bien là par hasard?<br /> <br /> A propos de tes réflexions sur les rapports humains il me revient ces paroles de Georges Brassens " Le pluriel nuit à l'Homme et sitôt qu'on est plus de quatre on est une bande de cons ". Alors ,<br /> relations humaines bien sur mais plutôt conviviales? (réflexions cela va sans dire d'un parfait libertaire).<br /> <br /> Bonne suite à ton cheminement.<br /> <br /> Michel<br /> <br /> <br />
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